Ils ont traversé un siècle. Deux destins cousus de courage, de silence, de travail et d’amour. Cousin et cousine centenaires, ils incarnent la mémoire vivante de Maurice. Ils sont issus de familles nombreuses de Chinatown à Port-Louis.
Elle a 100 ans. Lui aussi. Et ensemble, ils racontent l’histoire d’une famille, d’un pays et d’un temps qui ne reviendra plus.
Dans une maison paisible à Belle-Rose, le temps semble suspendu. C’est le domicile de Kwok Chung Yee Soon Hin, né le 18 avril 1925, à la rue Desroches, à Port-Louis. Lucide, droit, le regard vif, il travaille encore dans sa boutique, il aide sa famille et accomplit les tâches ménagères comme un rituel quotidien.
À quelques rues de là vit aussi une femme exceptionnelle : Chow Yin Kwok Tak Hing, née Chu Tsze Choi, une centenaire aussi. Elle est la matriarche d’une grande famille qui s’est réunie du monde entier pour célébrer ses 100 ans.
Vies parallèles
Chow Yin Kwok Tak Hing n’est pas allée à l’école. Elle a 5 ans lorsque la famille Ah Sue, qui avait déjà deux fils, l’adopte. « Je n’ai jamais été à l’école… mais je n’ai jamais manqué d’amour », confie-t-elle avec le sourire.
La famille Ah Sue, relativement aisée, avait une boutique. Ils vécurent d’abord à Port-Louis, avant de s’installer à Terracine, dans le district de Savanne. Une enfance simple, heureuse, rythmée par la vie du commerce, les odeurs d’épices, le va-et-vient des clients, les gestes répétés qui forgent la discipline.
Même sans scolarité, la petite fille développe très tôt une intelligence pratique, une débrouillardise naturelle, un sens aigu de l’observation.
« J’apprenais en regardant. J’écoutais beaucoup. La vie était mon école », dit-elle.
L’amour comme professeur
C’est dans cette boutique familiale qu’elle s’attachera à son futur mari. Celui-ci, venu de Chine à l’âge de 20 ans, y travaille comme employé. Modeste, discret, travailleur. Il tombe amoureux d’elle. Et surtout, il devient son professeur.
« C’est lui qui m’a appris à lire et à écrire en chinois. Le soir, après le travail, il prenait le temps. Je me sentais fière », raconte-t-elle.
Un amour patient. Un amour fondateur. Grâce à lui, elle apprend à lire, à écrire et à gagner en autonomie.
Ils se marient et entament une nouvelle vie. De leur union naissent sept enfants : cinq filles et deux garçons. Leur maison est remplie de vie. La famille grandit. Le couple a 22 petits-enfants et 32 arrière-petits-enfants.
Pour ses 100 ans, enfants, petits-enfants, conjoints, arrière-petits-enfants — certains venus de l’étranger étaient là spécialement pour elle. « Quand je les ai tous vus réunis, j’ai remercié la vie », confie-t-elle.
À 100 ans, Chow Yin Kwok Tak Hing mange de tout, et ne suit aucun régime particulier. C’est une femme active. « Je n’ai jamais fait de caprices en ce qui concerne la nourriture », dit-elle en riant.
Elle a toujours été débrouillarde. Et le mot revient souvent dans la bouche de ses enfants. Lorsque les moyens étaient modestes, elle apprend la couture et travaille comme couturière pour joindre les deux bouts. Elle coud, répare, transforme. Elle fait vivre sa famille avec ses mains.
Le couple vit successivement à Souillac, à Surinam, à Beau-Séjour, à Rose Hill et à Belle-Rose. Une vie de déplacements, d’adaptations, sans jamais se plaindre.
Elle fait du jardinage. Sur le toit de sa maison, elle cultive des plants aromatiques et des épices fines. « Tant que mes mains peuvent toucher la terre, je me sens vivante. » Elle élève aussi des poules, qu’elle cuisine ensuite. « Je sais d’où vient ce que je mange », dit-elle.
Elle adore la couture, mais aussi les films, qu’elle regarde avec passion, attentive à chaque détail. Elle incarne l’énergie tranquille et la sagesse au quotidien. Elle garde un esprit reconnaissant : « Je remercie Dieu tous les jours pour ce que j’ai. »
Chinatown
Kwok Chung Yee Soon Hin voit le jour le 18 avril 1925, à la rue Desroches, à Port-Louis. Il grandit à Chinatown, dans un univers vibrant, commerçant, profondément communautaire. « Port-Louis, c’était la vie. Tout se passait là », raconte-t-il.
Très jeune, il apprend la valeur du travail. Il devient boutiquier, un métier qu’il exercera toute sa vie. Marié en 1959 à Miss Ha Man, née Leung Yinko, il fonde une famille et a trois enfants, puis cinq petits-enfants.
Aujourd’hui il est veuf et vit toujours à Belle-Rose, dans la maison familiale. Il est toujours debout, toujours actif. Il est lucide, précis et autonome. Il travaille encore dans la boutique familiale, aide ses proches et participe aux tâches ménagères.
« Si je reste assis, je vieillis. Si je bouge, je vis », avance-t-il. Sa mémoire est intacte. Il se souvient des noms, des dates, des rues, des visages. « Le secret, c’est de ne jamais abandonner. Même quand la vie est dure. »
Cousin et cousine partagent la même vision : le travail, la famille, la simplicité et la dignité. Ils ont connu les guerres lointaines, les pénuries, les mutations de Maurice, l’exil de certains enfants, la modernité qui bouleverse tout. Mais ils sont restés fidèles à eux-mêmes. « Nous n’avions pas grand-chose, mais nous avions l’essentiel. »
Lien familial
Ils ne se sont pas vus souvent. Ils n’ont pas grandi sous le même toit. Et pourtant, le lien n’a jamais été rompu. Cousin et cousine, Chow Yin Kwok Tak Hing et Kwok Chung Yee Soon Hin ont traversé le siècle avec une même colonne vertébrale : le respect, le travail, la famille.
« Nous venons du même sang et nous avons surtout la même éducation », confie Kwok Chung Yee. Les réunions familiales étaient rares, précieuses, chargées d’émotion. On parlait peu, mais on comprenait beaucoup. Dans cette génération, l’amour ne se criait pas, il se prouvait.
Quand ils racontent Maurice d’antan, leur voix change. Elle est plus profonde. « Avant, la vie était dure, mais simple », dit la centenaire. « On respectait les anciens. On respectait la parole donnée », ajoute son cousin.
Ils se souviennent d’un pays sans technologie, sans réseaux sociaux, sans urgence permanente. Les journées commençaient tôt. Les boutiques ouvraient à l’aube. Les enfants aidaient les parents. « Personne ne demandait pourquoi. On faisait ce qu’il fallait faire », raconte-t-elle.
Kwok Chung Yee se souvient de Chinatown, des rues animées, des lanternes, des odeurs de thé et d’épices. « Tout le monde se connaissait. »
Départs
Avec le temps, les enfants sont partis. Certains à l’étranger. D’autres dans d’autres régions de Maurice. « Le jour où mes enfants ont quitté la maison, j’ai compris ce qu’était le silence », avoue la centenaire. Mais jamais la distance n’a brisé le lien. Pour ses 100 ans, ils sont tous revenus. « Ce jour-là, j’ai senti que ma vie avait servi à quelque chose », dit-elle, la voix tremblante.
Kwok Chung Yee partage ce sentiment. « Quand je vois mes petits-enfants, je sais pourquoi j’ai travaillé toute ma vie. » À ceux qui leur demandent le secret de leur longévité, la réponse est presque la même.
« Je mange de tout. Je travaille. Je ne garde pas la colère », dit Chow Yin Kwok Tak Hing. Elle insiste sur un point : « Il faut pardonner vite. La rancune fatigue le cœur. »
« Il faut rester utile. Tant que je peux aider, je me lève le matin », ajoute Kwok Chung Yee. Ils n’ont jamais cherché la facilité. Ils ont accepté la vie telle qu’elle est.
Sans jamais l’avoir revendiqué, Chow Yin Kwok Tak Hing fut une femme libre. Elle a travaillé. Elle a appris sans école. Elle a élevé ses enfants. Elle a tenu quand l’argent manquait. « Je n’ai jamais attendu qu’on fasse les choses à ma place », dit-elle.
Elle a cousu pour nourrir sa famille, a jardiné pour se soigner l’âme. Elle a élevé des poules pour rester indépendante. « Quand tu sais faire quelque chose de tes mains, tu n’es jamais pauvre. »
Kwok Chung Yee incarne la constance. Le même métier. La même rigueur. La même honnêteté. « Je n’ai jamais voulu être riche. J’ai voulu être droit. » Même veuf, même âgé, il refuse l’inaction. « Si je reste immobile, je perds la tête. »
Miroir d’un siècle
Ils racontent Maurice : la migration, le commerce, la famille élargie, la résilience silencieuse. Ils sont les gardiens d’une mémoire qui s’efface.
« Aujourd’hui, tout va vite. Mais la vie ne se vit pas en courant », dit la centenaire. Ils parlent aux jeunes avec douceur, jamais avec reproche.
« Travaillez. Respectez vos parents. N’ayez pas peur de l’effort », conseille Kwok Chung Yee. « La vie ne vous doit rien. Mais si vous lui donnez le meilleur, elle vous le rendra », ajoute sa cousine.
Ils ne laisseront pas de grandes fortunes. Mais ils laisseront des valeurs. « Si mes enfants se respectent entre eux, j’aurai réussi », dit-elle. À 100 ans passés, leurs regards brillent encore. Deux vies ordinaires devenues extraordinaires par leur durée, leur dignité et leur amour.
Le temps comme allié
Ils sont cousins. Ils sont centenaires. Ils sont la preuve vivante que le courage discret traverse les siècles. Et tant qu’ils parlent, tant qu’ils sourient, tant qu’ils se souviennent, le temps, lui, s’incline.
Noël : l’amour et la famille
Pour Chow Yin Kwok Tak Hing, Noël reste avant tout une fête de partage, de joie et de bonheur. Elle se souvient qu’autrefois, malgré des moyens limités, l’essentiel était déjà là : l’amour et la famille.
« Quand j’étais petite, je recevais des cadeaux simples, parfois un sifflet ou une poupée. Plus tard, j’ai offert à mes enfants des cadeaux un peu plus sophistiqués. Aujourd’hui, encore plus. »
À travers les générations, Noël a grandi, évolué, mais son sens profond demeure intact : donner, recevoir et être ensemble.
Lorsqu’il évoque Noël, Kwok Chung Yee replonge avec émotion dans son enfance. À l’époque, les moyens étaient modestes, mais le bonheur immense.
« Avant, Noël était simple. Les cadeaux l’étaient aussi. Mes parents m’offraient une petite voiture, parfois un jouet très basique, mais j’étais heureux. »
Au fil des années, la fête a évolué. Noël est devenu plus festif, plus généreux, marqué par davantage de cadeaux et de joie. Aujourd’hui, il note cette transformation : « Nous avons la chance d’avoir des centres commerciaux, des décorations grandioses. C’est un privilège de pouvoir fêter Noël avec ses enfants et ses petits-enfants. »
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